Aujourd’hui, il y a des hommes qui vont offrir une rose à leur femme.
Aujourd’hui, il y a des femmes qui vont être heureuses d’avoir reçu une rose.
Aujourd’hui, je vais encore être de sale humeur.
Parce que je n’ai pas reçu de roses ? Parce que mon Tinder-crush a demandé à partager l’addition ? Parce que mon cher-et-tendre n’a pas fait le ménage/la vaisselle/le gigot pendant que je me relaxais, un verre de Chardonnay à la main, devant Le Bachelor ?
Non.
Parce qu’aujourd’hui, tout le monde croit fêter « la Femme », et non « les Droits de la Femme ». Et que ça, ça m’énerve.
Ça m’énerve qu’on confonde la Journée des Droits de la Femme avec la journée de la galanterie.
Le raccourci ayant été fait depuis longtemps, la confusion est légitime (un peu comme la Fête des Mères et la célébration de la Ménagère Accomplie). Pourtant, rappelons-le, le 8 mars trouve son origine dans les luttes féministes du début du XIXe siècle (les Suffragettes et le droit de vote), mouvement qui gagne de l’ampleur avec la révolution sexuelle des années 60-70 (les Hippies et le droit de se laisser pousser les poils des jambes) et se poursuit encore de nos jours (les Femens et le droit à être aussi sexiste que des hommes, ou encore Véronique Courjault et le droit à refuser la maternité).
Chaque jour (et pas seulement le 8 mars), des femmes (et des hommes) se battent pour la reconnaissance de l’égalité des sexes, et l’amélioration de la condition féminine à travers le monde.
Ce n’est donc pas, messieurs, un jour pour nous dire que nous sommes jolies, et nous inviter au resto pour nous offrir le tout dernier Cook-expert (en espérant être récompensé pour l’effort).
Merci, mais non merci.
Mais la Journées des droits de la Femme m’énerve aussi pour d’autres raisons…
Ça m’énerve que la Journée des Droits de la Femme soit assimilée à la Journée des Droits des Féministes.
Disons-le d’entrée, il y a féministe et féministe, un peu comme il y a vegan et flexitarien.
D’un côté, celles qui montrent leurs seins dans l’espoir de se faire entendre (mmm, okay) et ont volontiers recours à la force, au désordre, à l’intimidation et à la propagande.
De l’autre, celles qui montrent les graphiques de l’Observatoire des Inégalité[1] et décident qu’un discours pacifiste et éclairé est globalement préférable à un extrémisme agressif et chaotique.
Vous aurez deviné où je me situe (si vous n’êtes pas sûr, vous pouvez toujours aller voir mon excellent article Je suis Flemministe).
Je crois, sans doute un peu naïvement (c’est mon côté Barbie Médiatrice), que le féminisme ne doit pas être un rapport de force mais un apprentissage.
Parce que je considère qu’on ne vainc pas l’ignorance et l’intolérance en leur foutant des baffes, mais via l’éducation, la sensibilisation, l’échange, l’information factuelle et objective.
Parce que je crois à un combat sans violence, sans haine, sans provocation, sans sexisme, qui ne fait qu’attiser les antagonismes, l’incompréhension, la crainte, le rejet, voire le dégoût envers les femmes et les causes qu’elles défendent.
Donc, quand je vois la récupération faite par certains groupuscules belliqueux, qui transforment la Journée des Droits de la Femme en Journées du Droit à Taper sur les Hommes (non sans faire un peu d’auto-promo au passage), et surtout quand je vois l’avalanche de propos misogynes qui découlent, par réflexe, de cette misandrie calendaire, ça me met doucement les nerfs.
Ça m’énerve qu’en 2017, on ait encore besoin d’une Journée des Droits de la Femme.
Que de chemin accompli depuis que Pénélope faisait tapisserie[2] en attendant le retour de son baroudeur d’Ulysse, parti jouer à la guéguerre et taquiner la sirène avec ses potes de l’Olympe !
On a obtenu le droit à l’éducation, le droit au divorce, le droit de vote, la contraception, l’IVG, la parité politique, Nabilla, et on a même aboli le virginal « mademoiselle » (encore que je ne sois pas sûre que ça soit un véritable progrès).
Oui, que de chemin accompli depuis que Pénélope a commencé à tisser sa toile.
Et pourtant…
Et pourtant, les femmes continuent d’être moins bien payées que les hommes, d’être discriminées à l’embauche lorsqu’elles sont en âge d’avoir des enfants, d’être montrées du doigt lorsqu’elles décident de ne pas en avoir, d’effectuer la plus grande partie des tâches ménagères[3] en plus de leur emploi à temps plein, d’être écartelées entre leur désir de s’épanouir professionnellement et socialement et la culpabilité d’être une « mauvaise mère » (celle qui allaite moins de six mois, reprend son travail directement après son congé maternité et sort une fois par mois boire une margarita avec ses copines) et une « mauvaise épouse » (celle qui est trop fatiguée le soir pour préparer la dinde farcie pour Monsieur, ou proposer à Monsieur de farcir la dinde).
Et pourtant, les pubs continuent de nous montrer la parfaite petite Femme d’intérieur, celle qui récure les chiottes avec le sourire et va chercher ses gamins en talons aiguilles après avoir récupéré les chemises de Monsieur au 5àSec ; mais aussi la parfaite petite Femme d’extérieur, celle qui a toutes les paires de chaussures pour toutes les occasions, dont le rouge à lèvre antichoc s’accorde parfaitement avec la couleur du dernier crossover hybride, et qui est toujours dispo pour un 5 à 7.
Et pourtant, les magazines « 100% féminins » (mais 0% féministe) continuent de nous proposer des articles où l’on apprend comment être belle, mince et tendance (niveau « Biba »), à réussir le soufflé aux truffes pour séduire les papilles de son Amoureux (niveau « Grazia »), et à réaliser une brassière en crochet pour le trousseau du petit dernier (niveau « Marie-Claire » sur l’échelle de l’ascension féminine).
Et pourtant, les réseaux sociaux continuent de nous abreuver d’images idylliques de #PerfectMoms ou de #HappyMoms trônant propres et souriantes dans leur intérieur douillet, au milieu de chérubins assortis au canapé et d’impossibles cupcakes au cranberry bio.
Alors, oui, c’est vrai, je devrais me réjouir qu’une Journée des Droits de la Femme existe, et qu’elle permette de faire, parfois, un peu, avancer les choses.
Mais de savoir qu’il y a 364 autres jours dans l’année, 364 jours où on va oublier qu’être une femme, c’est être considérée à la fois comme un sous-homme et un être surhumain, qui doit concilier carrière, maternité, tâches ménagères, couple et vie sociale tout en offrant en permanence une apparence épilée, maquillée, parfumée, pomponnée, reconnaissante et épanouie…
…Ça, ça m’énerve vraiment.
NOTES :
[1] Observatoire des Inégalités, un (pas si) joli graphique.
[2] On ne sait pas si elle fredonnait :
Ulysse revient
Et c’est un bien long chemin
Ulysse revient
Il lutte pour son destin
[3] L’inégale répartition des tâches domestiques entre les femmes et les hommes, Observatoire des Inégalités.
Publié pour la première fois sur la-chips.com, 2013. Dernière édition 2017.
très bien dit p’tite chips!
Ravie que tu approuves, ptit Maracudja 🙂
Ouais c’est bien envoyé ça !
A défaut d’être une « Chienne de garde », j’aime bien jouer les « Chieuse de garde »…